J’ai testé un atelier tantra, censé booster le désir
A l’heure où la sexualité des Français est en récession, la journaliste Maroussia Dubreuil s’est essayée, en couple, à une séance de ce type de yoga, fondé sur la circulation de l’« énergie sexuelle » et sur l’art de la relation.
ARTICLE : Publié dans le Monde le 13 février 2024 – Par Maroussia Dubreuil
Certains de mes reportages amusent beaucoup mon petit ami. Il m’a accompagnée à un groupe de parole sur la vulnérabilité, a visité un pays de l’ex-URSS, a lancé des appels à témoignages sur ses groupes WhatsApp… Il est d’un appui sans faille. Ma dernière proposition l’a tout de même fait hésiter. « Ça te dirait de participer à un atelier tantra, dans le cadre de mon enquête sur le désir ? »
Pour le convaincre, je lui fais un petit topo sur la misère sexuelle qui nous guette… Des chiffres alarmants viennent de tomber : la proportion de Français et Françaises ayant eu un rapport au cours des douze derniers mois n’a jamais été aussi faible en cinquante ans : 76 % en moyenne, soit une baisse de 15 points depuis 2006. Le taux d’activité sexuelle annuelle tombe ainsi à un niveau encore plus faible qu’en 1970, selon l’étude de l’IFOP pour la marque de sextoys Lelo, publiée le 6 février.
A l’heure où la France ne couche plus, il faut considérer cet atelier tantra – une pratique spirituelle fondée sur la circulation de l’« énergie sexuelle » et sur l’art de la relation – comme un bien d’utilité publique. Malgré ses craintes – « Je ne suis pas exhibitionniste avec des inconnus », me dit-il –, mon compagnon accepte de donner de sa personne à condition de garder le bas.
On fixe le troisième œil
Sur les conseils d’une amie, nous nous rendons à Satnam Montmartre, « la crème de la
crème du kundalini yoga », un yoga tantrique, d’après son expertise. Tarif : 38 euros par participant. La séance se déroule dans une grande salle qui sent bon l’encens, au premier étage d’un spectaculaire hôtel particulier néogothique du XIXe siècle, à Montmartre, dans le 18e arrondissement parisien. Une dizaine de tapis, dotés de deux petits coussins – rouge pour les femmes, blanc pour les hommes – émaillent le sol. Nous prenons place près d’un autel garni de chandeliers à trois branches, qui représentent le couple, selon la formule synergique : 1 + 1 = 3. Autour de nous, une majorité de trentenaires et quadragénaires, en leggings ou pantalon en lin, que nous aurions tout à fait pu croiser dans les cafés cosy ou dans la charmante épicerie bio de la rue des Abbesses.
« Le tantra est une philosophie qui vise l’union des polarités, le masculin et le féminin que nous avons en chacun de nous… En cela, le couple est un formidable terrain d’apprentissage de la quête de soi », entame Anne Bianchi, la maîtresse des lieux, dont le style hippie chic se marie étonnamment bien avec la cheminée du XVe siècle en bois sculpté. Elle met en garde contre les idées reçues en vigueur dans le monde occidental : à la différence du tantra rouge qui a fait les beaux jours des orgies des seventies, le tantra blanc n’est pas une pratique sexuelle, même s’il peut avoir un impact sur la sexualité. « Aucun trou ne sera pénétré ce soir. Ni le sexe, ni les oreilles, ni les narines… », plaisante-t-elle. C’est assez pour rassurer mon compagnon, qui se demande néanmoins comment rester en tailleur les deux heures à venir.
Notre hôte invite chaque binôme à se regarder dans les yeux. Comme c’est impossible de plonger dans l’œil droit et l’œil gauche de son partenaire en même temps, on fixe son troisième œil, au milieu des deux autres. Ayant tendance à fuir le regard de mes interlocuteurs en toutes circonstances, me voilà chavirée d’émotions, avec cette impression d’être perçue au grand jour. Anne Bianchi nous suggère d’explorer cette pratique lors de nos ébats amoureux, pour améliorer notre intimité. Puis nous chantons le Om, cette syllabe sanskrite que l’on nomme également la « vibration vitale ». Moi qui ne verse pas tellement dans les rites hindouistes et ne cultive pas souvent mon moi intérieur, je réprime un début de fou rire avant de me laisser aller. Je trouve que mon compagnon pourrait davantage ouvrir la bouche si on espère avoir des résultats satisfaisants.
Transe du chat-vache
Tout au long de la séance, nous nous prêtons aux pranayamas (respirations profondes et rapides) qui nous étourdissent un peu, nous contractons nos muscles, nous caressons nos ovaires ou nos gonades… Impeccablement guidés par Amar (le nom spirituel de notre yogi en chef, du latin amare : aimer), nous tentons les vénus kriyas (postures effectuées à deux) qui faciliteraient la circulation de l’énergie vitale, autrement dit l’énergie sexuelle.
Sur ce point un peu plus acrobatique, je dois reconnaître que nos voisins sont plus doués que nous… En couple depuis un an, Maud Léger, 35 ans, professeure de yoga, est venue avec son amoureux, un ancien gymnaste. Eduquée dans la tradition chrétienne, elle a pendant longtemps refoulé « ce qui se passait entre ses jambes » avant d’explorer la masturbation consciente puis le tantra pour accéder au plaisir. « Avec Ilias, on est un couple conscient, on médite tous les jours, on a un autel, on tire les cartes, on danse ensemble… », décrit-elle.
Je ne peux pas m’empêcher de quitter un instant le troisième œil de mon compagnon pour les observer. Parfaitement synchrones, leurs ondulations font penser à une transe d’amour, toute chaste soit-elle. Ils excellent dans le chat-vache, ce face-à-face à quatre pattes qui alterne la position du chat (dos rond, menton rentré) et celle de la vache (dos creux, menton levé).
La séance se termine sur Grace, un rap mélancolique de Kae Tempest, poétesse britannique non binaire et reine du spoken word. « Please use me, please move through me, please unscrew me, please loosen me up » (« S’il te plaît, utilise-moi, passe à travers moi, s’il te plaît dévisse-moi, s’il te plaît détends-moi »), balance-t-elle, avec un accent cockney fort mélodieux qui ne déplairait pas aux chamans. Quand nous entendons retentir le gong final, Amar nous incite à parler à notre élu(e). Nous, on débriefe. Petit 1. Ça va ? Petit 2. Ça change de nos soirées ciné. A refaire ! Petit 3. On gagnerait à faire des assouplissements.
Maroussia Dubreuil
PHOTO : ALIZEE BARBE